Maïa MAZAURETTE ・Interview

 

MAïa mazaurette, journaliste au monde, écrivaine, illustratrice, et en 2020, peintre qui expose ses oeuvres ! depuis son premier livre publié à 21 ans,maïa a toujours su garder une longueur d’avance…mille projets en tête, et à cette rentrée non pas un mais deux livres qui sortent le 10/01 ! “sortir du trou. lever la tête” aux éditions anne carrière, et “le sexe selon maïa” - une compilation de ses meilleurs articles au monde - aux éditions de la martinière ! bref, enfin (!), 2020 sera l’année maïa !


1/ EstelleReads : « Sortir du trou. Lever la tête. » est un livre à deux entrées (ndlr : un livre en deux tomes bien distinctes que l’on retourne pour commencer par la fin la seconde partie). C’est un bel objet, tout comme “Le Sexe selon Maïa” qui est très joyeux, et c’est hyper ludique, je n’avais jamais vu ça !

Maïa Mazaurette : Oui, c’est moi qui ait insisté pour que ce soit un texte à deux entrées. La première partie « Sortir du trou – et échapper à notre vision étriquée du sexe», je l’ai écrite avant l’ère #metoo. Ca a été rapide, écrit d’une traite.


2/ ER  : ça se sent à la lecture d’ailleurs, c’est comme un cri du cœur, ça vient des tripes !

M.M. : Oui, c’est un peu ça. La seconde partie, « Lever la tête – et inventer un nouveau répertoire érotique » m’a prise deux ans. Depuis quinze ans que je fais ce métier, j’ai constaté comme une théorie unificatrice de tous les sujets que j’ai traité. Il existe un érotisme à la française, basé sur la douleur des femmes. Ce qui donne par exemple des livres comme ceux de Sade, de Pauline Réage. Le sexe, c’est bien quand c’est transgressif mais uniquement quand ça l’est avec les femmes. Il y a un culte des grands auteurs qui ancrent cela.


3/ ER : Ce qui m’a frappée dans ton livre c’est la tolérance totale que tu as envers les goûts et les couleurs de chacun. J’ai beaucoup pensé au mot « respect ».

M.M. : Le sexe est le lieu de la « sortie de corps ». Alors que tout peut / doit se faire dans la dignité, de soi-même, de son partenaire, et qu’il est possible d’allier cerveau et sexualité. Ce n’est pas du puritanisme, comme certains ont pu m’en faire la réflexion, c’est une exigence élevée. J’ai commencé une transition végétarienne en même temps que j’écrivais mon livre tant ces deux combats me semblaient ne pas pouvoir aller l’un sans l’autre. (ndlr : Maïa a un collier avec une côté de bœuf en pendentif)


4/ ER : Quand est-ce que tu as commencé à être sensible à cette différence entre les genres ?

M.M. : Dès la maternelle, je me souviens que des garçons voulaient m’empêcher de faire des trucs sous prétexte que j’étais une fille. J’étais rentrée chez moi très étonnée, j’en avais parlé à mes parents, je ne comprenais pas. J’ai toujours eu des bandes de copains, joué aux jeux vidéos, à des jeux de rôle. C’est comme si j’étais obligée de choisir un personnage féminin de princesse alors que je savais que j’allais être moins forte et perdre.

J’ai grandi dans le 91 dans une petite ville en Essonne. A 16 ans j’ai lu « Le Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir. J’ai pleuré du début à la fin. Elle y dressait un tableau écœurant, mais qui donnait les armes pour s’en sortir. Si j’avais cet âge aujourd’hui j’aurais demandé une transition hormonale à mes parents. Je voulais échapper à la condition féminine. C’est comme ça que je me suis inscrite dans une association féministe à Paris en 1995. Je me suis dit que ça allait être compliqué mais que c’était possible d’être une femme. J’y ai rencontré des femmes qui avaient 25-30 ans, qui avaient tout lu, qui me parlaient de Judith Butler, des grandes féministes américaines... Mais il ne fallait pas confondre destin individuel et une cause plus grande, qui allait bien au-delà.

Simone de Beauvoir avec le travail de titan qu’elle a abattu pour écrire ce livre m’a donné la force. J’ai un vécu féminin féministe et pourtant je n’ai pas d’enfant. On ne peut pas être dans l’opposition. Aujourd’hui, les différences entre les âges peuvent être beaucoup plus complexes qu’entre un homme de mon âge et moi par exemple.


5/ ER : Dans ton livre tu parles d’une étude qui a montré que les cerveaux d’un homme et d’une femme tous les deux peintres avaient plus de similitudes que les cerveaux de deux hommes pris au hasard.

M.M. : Oui. Par la pratique, on peut vraiment pousser le cerveau vers telle ou telle direction.


6/ ER : Pour en revenir à Simone de Beauvoir et au Deuxième sexe, est-ce un livre que tu relis souvent depuis ce choc de tes 16 ans ?

M.M. : Je l’ai relu deux-trois fois seulement, car c’est une lecture douloureuse. Je me souviens exactement de quand je l’ai découvert, il était dans la bibliothèque de mes parents, j’ai la chance d’avoir des parents féministes, on était partis en vacances et il pleuvait des cordes.


7/ ER : Tu en as parlé à tes parents ensuite ?

M.M. : Non, c’était trop intime. Puis parler de ça avec sa mère, alors que les rapports mère-fille sont déjà si complexes… :)

La pensée de Simone de Beauvoir a continué à évoluer. C’est comme si on portait Le Deuxième Sexe sur nos épaules et qu’on avançait. Je pense notamment à Manon Garcia qui a écrit « On ne naît pas soumise, on le devient » qui relève la question de comment relire Simone de Beauvoir aujourd’hui. Ou encore à Paul B. Preciado avec « Un appartement sur Uranus ».

Il s’agit aujourd’hui d’égaliser la sexualité, et c’est très intéressant. Après tout, tout le monde a un anus, tout le monde a une main. Il existe aussi un sextoy clitoridien StrapOnMe qui permet d’inverser la pénétration sexuelle.

Après avoir lu Le Deuxième Sexe, plein de choses censées être sexy ne l’étaient plus. Certains disent que la littérature ne se fait pas avec des bons sentiments. Je suis de moins en moins d’accord avec ça. Je crois en une responsabilité de l’artiste comme en une responsabilité de l’écrivain.

On le voit avec l’affaire Matzneff, qui était adoré. Il y a une vraie révolte contre l’immoralité que ce soit de la part de ma génération comme de celle de Greta Thunberg.


 
 

Square Gardette, Paris 12ème.

Maïa Mazaurette

Maïa Mazaurette

« J’aurais pu être un enfant trans. Je ne voulais pas de cette condition féminine.»


8/ ER : Tu as eu un blog au tout début de la blogosphère en France, au début des années 2000. Est-ce que l’essor considérable des réseaux sociaux a changé quelque chose pour toi ?

M.M. : Non. Je fais collection des pires messages que je reçois dans un fichier sur mon ordinateur, je les utilise pour mon travail et d’ailleurs ça fait quelques mois que je ne l’ai pas ouvert ce fichier. Mais aujourd’hui je m’en fiche, et en tant que journaliste et écrivaine, si on m’attaque par écrit - par exemple par tweets, je n’ai pas de doute quant au fait que je gagnerais sur ce terrain ! :)


9/ ER : Qu’est-ce que tu as lu récemment ?

M.M. : A part les essais que je lis sur les sujets sur lesquels je travaille, en romans – et en plus des livres sur la Guerre de Troie et Alexandre Le Grand que j’adore et dont le personnage et l’ambition me fascinent ! – j’ai lu dernièrement :

Civilizations de Laurent Binet

Ilium de Dan Simmons

Vernon Subutex de Despentes

Les furtifs d’Alain Damasio (beaucoup aimé)

Les mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (qu’est-ce que c’est beau !)

Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu

Circé de Madeline Miller


10/ ER : En quoi t’inspire Alexandre Le Grand, est-ce que parfois tu te demandes “qu’aurait-il fait à ma place dans la même situation ?” ? :)

M.M. : Le fait que je sois toujours en train de penser à mon projet, à mon travail suivant, toujours dans l’action c’est quelque chose qui pourrait venir de lui. Par exemple, je suis déjà sur mon livre d’après et en même temps que la sortie de mes deux livres j’organise une exposition de mes peintures à Genève !


11/ ER : Dans ton livre, il y a quelque chose qui m’a interpellée, tu habites à New-York depuis plusieurs années et dis qu’il y a une différence avec ce qu’on appelle le « dirty talking » en France, qui va vite se traduire par des insultes envers la femme type « salope » etc mais rarement envers l’homme, alors qu’aux Etats-Unis ce sont plus des encouragements. Pourquoi ?

M.M. : Parce qu’ils ont un rapport aux grossièretés qui est très différent du notre. Aux Etats-Unis je t’aurais déjà dit quinze fois depuis le début de notre conversation « fuck » « my fucking (…) » etc etc, car c’est moins transgressif pour eux que pour nous. C’est une question de langages très différents. François Perea a fait une étude sur les bruits du sexe notamment en écoutant des enregistrements de couples faisant l’amour et des films pornographiques.


12/ ER : Est-ce qu’il y a un livre qui t’a donné envie d’écrire ?

M.M. : J’écrivais déjà avant Le Deuxième Sexe. J’avais déjà un premier roman prêt à cet âge-là. A 14 ans j’écrivais des fanzines. Dès 5 ans j’écrivais des petites histoires.

Je ne peux pas être révoltée par quelque chose d’aussi intime que mon corps et ce que j’en fais sans rien faire. Même si Le Deuxième Sexe qui est sorti en 1957 était très ancré dans son époque et était déjà un peu ancien quand je le découvre en 1995, il était d’une modernité imparable. Il m’a donné les clés.

Il n’est littérairement plus possible aujourd’hui de parler de sexualité sans parler de genre. Tous mes confrères qui font le même métier sont féministes. J’aurais été une enfant trans.


13/ ER : Une citation  tirée du Deuxième Sexe ?

M.M. : « On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c'est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin. Seule la médiation d'autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu'il existe pour soi, l'enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié. »


14/ ER : Quel est le livre que tu as le plus offert ?

MM : « Spinoza encule Hegel » de Jean-Bernard Pouy. Un petit bouquin d’action, une uchronie réécriture fantasmée de mai 68. C’est les spinozistes contre les hégéliens, même si je ne m’y connais pas du tout en philo, car on ne peut pas tout faire !  :)


ER : Merci Maïa !