Billet d'humeur・Marguerite Duras

 

MARGUERITE DURAS, MONUMENT DE LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE, EST NÉE EN 1914 ET MORTE EN 1996. SA VIE VAUT AUSSI BIEN SES ROMANS, VOIRE MIEUX POUR CELLE QUI AIMAIT À DIRE “SI JE L’AI ÉCRIT, C’EST QUE ÇA A EXISTÉ.” CE QUI N’EST PAS SANS RAPPELER LE “CETTE HISTOIRE EST VRAIE PUISQUE JE L’AI INVENTÉE.” DE BORIS VIAN


D’elle, je ne connaissais pas grand chose. J’avais lu La Douleur, et encore, après avoir vu une adaptation cinématographique très réussie avec Mélanie Thierry dans le rôle de Duras en 2017. J’avais vu l’adaptation de L’Amant aussi, il y a des années, car l’ami d’un ami m’avait dit la première fois que je l’avais rencontré que je ressemblais à l’actrice. Ce n’était pas compliqué je vous rassure, dès qu’une eurasienne est en vue, c’est pour moi. J’avais beaucoup aimé le film, mais je trouvais qu’il ne s’y passait franchement pas grand chose donc je n’avais pas eu envie d’aller plus loin.

La vraie découverte de Marguerite Duras s’est faite à la fin de l’année dernière, une écrivain que j’avais interviewé m’en avait parlé les larmes aux yeux, nous avions une entente évidente, aussi m’avait-elle offert son exemplaire d’Écrire à la fin de la rencontre. Texte qui date de 1993. J’avais attendu plusieurs semaines car je savais qu’elle me confiait une sorte de talisman, de ceux que l’on garde près de soi lors de l’écriture ou lors des épreuves. Je n’avais pas envie de me sentir obligée de le lire non plus. Je ne voulais pas être déçue. Et ça fonctionna.

Cette biographie de Romane Fostier est un texte inédit. Il retrace toute la vie de Marguerite Duras que je ne vais pas paraphraser ici, même si j’ai bien envie de vous donner envie de la lire pour en discuter avec vous ensuite.

Ce qui saute aux yeux c’est la mythomanie de Marguerite Duras. Est-ce qu’elle enjolive la réalité ? Bizarrement, ce serait plutôt l’inverse, elle aime à se raconter comme une enfant élevée en Indochine avec une mère assez folle et ruinée pour vouloir faire construire un barrage contre le Pacifique - bon, il ne s’agit que de la Mer de Chine mais peu importe dans l’imagination d’un enfant tout prend d’autres proportions - avec un grand frère voyou, violent et tyrannique, Pierre. S’il est vraie qu’elle perd son père très jeune et que sa mère n’a jamais vraiment voulu l’accepter, ne rentrant même pas en France où il se faisait soigner lorsqu’elle apprend sa mort, sa mère était une directrice d’école reconnue et qui savait être pragmatique quand il le fallait. Marguerite ne grandit pas vraiment pieds nus et en haillons mais plutôt en petite robe de dentelle blanche. Elle est très proche de son autre frère, Paul, qui reviendra souvent dans ses romans comme dans un songe à la limite de l’incestueux. Petit Paul parti trop tôt lorsqu’il était encore là-bas pour passer son bachot, quand Marguerite et son frère aîné sont déjà à Paris.

Sûrement ultra-sensible au monde qui l’entoure et à son environnement, Marguerite Duras reste profondément marquée à vie par cette enfance de l’ennui dans la chaleur moite et contemplative de l’Asie du Sud-Est.

Du non dit, elle élabore sa propre manière de raconter les faits, l’écriture. À la Sorbonne où elle étudie le Droit public, elle commence à goûter à cette ambiance du Quartier Latin, où elle achètera en 1940 l’appartement qu’elle ne quittera plus jusqu’à la fin de sa vie, le 5 rue Saint-Benoit, petite rue partant du Boulevard Saint-Germain depuis le Café de Flore. Le mythe prend forme.

Évoquer Marguerite Duras sans parler de sa vie amoureuse serait passer à côté de la femme. Elle aimait séduire, elle aimait l’amour, le badinage, tout comme elle était capable d’aimer passionnément un seul homme comme ce fut le cas avec Dionys Mascolo, probablement son grand amour avec qui elle eu son enfant unique surnommé Outa, avec qui elle commença une liaison adultère tant bien même ce dernier était un ami proche de son premier mari, Robert Antelme. Celui du livre La Douleur, qui raconte l’attente éperdue de Duras lorsqu’il est déporté en camp de concentration suite à son arrestation pour résistance. Il en rentrera plus mort que vif, et Duras en gardera toute sa vie un attachement viscéral à la cause juive. Car Marguerite Duras, c’était aussi cela : l’engagement politique dans la Résistance avec ses compagnons de toujours qui sont la famille qu’elle s’est choisie, puis son militantisme au Parti Communiste. Si elle ne restera pas communiste toute sa vie, elle se revendiquera clairement femme de gauche.

 
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Crédit photo Estelle Rolloy

Femme de caractère, elle aimera à malmener ses éditeurs en passant de Gallimard aux Éditions de Minuit en fonction du roman. Il est passionnant de comprendre la construction de l’oeuvre de Duras à travers sa vie car elle était directement inspirée par elle-même et son entourage, ce qui ne fut pas sans heurt notamment lorsque La Douleur est publié en 1985 sans en avoir informé du projet Robert Antelme remarié depuis des années, qui entrera dans une colère folle.

Lorsqu’elle remporte le prestigieux Prix Goncourt en 1984 pour L’Amant qui est l’aboutissement d’une thématique de son oeuvre engagée il y a déjà bien longtemps avec entre autres Un barrage contre le Pacifique, Marguerite Duras est devenue un mythe pour les autres et pour elle-même, d’ailleurs elle raconte qu’elle peut bien l’avoir puisque Proust l’a eu - ce qui montre la grande estime qu’elle se porte et qui finira par en agacer plus d’un dans son cercle d’amis. Mais elle est surtout très affaiblie par son alcoolisme aigu qui a failli la tuer plus d’une fois. Son dernier compagnon de vie, Yann Andrea, avec qui elle n’a pas de relation charnelle à son grand regret, la soutient dans toutes ses épreuves, de sa maison qui l’accompagnera lors de ses errances solitaires ou créatrices de Neauphle-le-Château aux jours heureux à Trouville dans son appartement des Roches Noires en passant par la rue Saint-Benoît.

Marguerite Duras était une femme libre vous l’aurez compris, curieuse de tout, artiste avant tout qui s’essaya avec brio au théâtre et au cinéma - pour cette partie là je vous laisse lire le livre ;) - comme le dit Romane Fostier, “La Vérité, c’est sa vérité.” J’ai adoré cette biographie, je vous la conseille chaleureusement même si vous n’avez pas encore lu Duras, et bien entendu je ne peux que vous encourager à la lire puisque ses mots sont au-delà de la littérature. Moi, ils me touchent en plein coeur.

“Les femmes, toutes les femmes ont fait leurs valises pour rien une fois dans leur vie. On les fait pour qu’on vous retienne.”

“Nous (les femmes) sommes négligées en général. Je crois que la conduite de l’homme en général, avec la femme, est une conduite brutale d’autorité. Mais maintenant la femme le sait. Elle s’en va, elle quitte l’homme; elle est beaucoup plus heureuse qu’avant.”